Manifeste de la lumière

Manifeste (Page recto). Eusebio Sempere, Lolo Soldevilla. Paris, 1955.

manifeste

l’art caractéristique de chaque époque exprime un aspect de la vie que l’artiste transpose en un alphabet esthétique.
le plus souvent, un artiste innove instinctivement dans une voie que d’autres pouvent développer jusqu’à des hauteurs insoupçonnées.
les travaux que nous exposons cette année aux REALITES NOUVELLES tentent d’incorporer los problèmes de la lumière à la plastique moderne et d’en montrer le développement possible.
nous souhaitons apporter à la non-figuration de nouveaux éléments, non pas en ce qui concerne la forme en la structure extérieure, mais la convertir par l’intérieur en quelque sorte, en posant de nouveaux problèmes fondamentaux.
une des grandes conquêtes de la peinture au début du XVII siècle, a été, outre la représentation du mouvement, la traduction plastique de la lumière. alors qu’on doit au vinci les premiers pas vers la solution des problèmes du clair-obscur par l’adoucissement du fameux « sfumato ». c’est le caravaggio qui aborde ouvertement la question et, avec une peinture à larges plans de lumière et d’ombre, remporte une éclatante victoire pour le baroque.
nous avons repris, aujourd’hui, le problème de la lumière pour élargir l’horizon des possibilités de l’art non-figuratif.
dans nos travaux récents, l’élément essentiel est la lumière, elle nait de l’oeuvre même et arrive au spectateur avec toute la force de sa présence physique, poétisée et matérialisé par des plans simples et des matériaux colorés ou
transparents.
dans nos « reliefs » la plastique s’adjoint:
1º LA PROFONDEUR A L’AIDE DE PLUSIEURS PLANS SUPERPOSÉS; 2º LE MOUVEMENT, LA LUMIÈRE PROJETÉE ETABLISSANT, PAR SES ALTERNANCES DANS LE TEMPS, UN DIALOGUE POÉTIQUE ENTRE LES ÉLÉMENTS QUI COMPOSENT L’OEUVRE.
nous employons des matériaux qui nous sont propres avec moyans mécaniques ou automatiques que nous offre la technique moderne.
nos travaux allient à la gaîté de ce qui est simple et ingénu, le tragique que suppose toute tentative de création artistique avec les moyens limités de l’homme aux prises avec la matière.

SEMPERE

Manifeste (Page verso). Eusebio Sempere, Lolo Soldevilla. Paris, 1955.

la conscience humaine confronte les problèmes de l’époque: angoisse collective causée par les guerres passées et les épidémies qui ont suivi.
nous sommes dans l’ère de l’atome, de la relativité et de la vitesse, des « soucoupas volantes » et dans le siècle des plus grandes découvertes de l’histoire.
la chance nous est donnée de vivre cette époque merveilleuse ; en face d’elle, en face de la vie (dans la grande circonférence qu’est la terre), se trouve l’homme, s’appuyant sur les découvertes les plus récentes de la science.
tout cela nous incite à réfléchir sur la responsabilité que nous encourrons comme artistes : si nous avons une idée, nous devons la manifester. dans l’art, pour l’artiste, les découvertes ont la même importance que pour les hommes de science.
cette idée, il nous faut la nourrir, la faire croitre jusqu’à ce qu’elle soit en voie de réalisation, et dans son évolution nous rencontrerons une multitude infinie d’idées nouvelles qui accompagnent la première.
aujourd’hui nous présentons un problème de LUMIERE. déjà, en 1953, quand nous faisions, dans la galerie arnaud, une exposition composée de peintures et de sculptures mobiles-sonores, nous vimes dans quelques reliefs de couleur blanche que la lumière était l’axe principal de notre recherche et nous commençames à faire des essais dans ce sens. plus tard, dans une autre exposition de collages dans la galerie la roue (février 1955) nous avons prouvé, avec notre thèse « répercussion par la couleur », comment il était possible, dans les canons de la vraie plastique moderne, de rendre patent un problème de lumière en la prenant comme facteur principal et direct de nos modes d’emploi.
si nous nous basons sur les exemples les plus purs de la plastique abstraite, nous obtiendrons des résultats immédiats, en prenant comme point de départ la conception que la réalité de l’esprit part d’une abstraction d’ici dérivent des formes différentes et multiples d’emplois qui viennent doter l’imagination de techniques nouvelles incluant l’architecture moderne et universelle.
depuis des années, la lumière a eu sa fonction dans lart : beaucoup de peintres et de sculpteurs se sont servis d’elle pour donner plus de vigueur a lours ouvres plastiques ; l’industrie du cinéma ; le verre et les vitraux ; les décors de théâtre et, dernièrement, la photographie et le cinéma abstrait, ont eu dans la lumière un facteur primordial. mais ils ont pris ces effets comme une conséquence. ils ne l’ont pas utilisée comme couleur, c’est-à-dire comme une partie intégrante de l’ouvre picturale.
de même que le noir et le blanc, le gris ou autres couleurs, la LUMIERE devrait être considérée comme un élément de travail dans les nouvelles conceptions abstraites. sa personnalité s’affirme dans sa propre durée, s’affirme par le plaisir de l’artiste, qui peut se servir de l’électricité, par exemple, ou des effets solaires qui peuvent eux-mêmes déterminer la force utile et chercher les bases souples.
mais sa force-potentielle propre serait la COULEUR LUMIERE.
de celle-ci peuvent dériver des résultats énormes. selon que nous avançons dans nos essais, nous montrerons au spectateur intelligent le beau chemin qui s’ouvre à nos sens esthétiques.
l’art moderne nous apprend à peindre avec une grammaire organisée : première, seconde et quatrième dimension.
existe-t-il quelque chose qui peut être plus plat que la lumière ? existe-t-il des couleurs ou des matériaux qui peuvent s’étendre plus loin ou se fixer d’une façon plus durable ou définitive ?
modestement, NOUS FIXONS AUJOURD’HUI LA POSITION ACTUELLE DE LA LUMIERE selon notre compréhension, en offrant notre premier essai au public parisien (que nous pouvons bien appeler universel), avec l’émotion
et la joie que produit le travail.
et, comme test de nos principes, nous laissons exposés aux REALITES NOUVELLES les premiers RELIEFS LUMINEUX que nous avons créés.

merci.

LOLO.
paris, 8 juillet 1955.